Portée de la mention d’une rémunération nette dans le contrat de travail

 

Dans un arrêt du 14 décembre 2022 (pourvoi n°21-17171, inédit), la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant, ni dans sa structure sans son accord.

 

Un agent d’entretien a été engagé, à compter du 23 février 2004, suivant deux contrats à durée déterminée successifs, puis par contrat à durée indéterminée, le 25 février 2005, par une société œuvrant dans le secteur d’activité des agences immobilières.

 

Les contrats de travail successifs ont fixé la rémunération mensuelle nette à 1.653 euros pour 39 heures de travail par semaine.

 

Le salarié a été licencié le 26 décembre 2016 pour impossibilité de reclassement suite à inaptitude physique. 


Le 16 novembre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de BETHUNE, afin d’obtenir la condamnation de son ancien employeur au paiement de diverses sommes et indemnités au titre de l’exécution et de la rupture du contrat de travail. 


Par jugement du 31 octobre 2018 (RG n°17/00580), la formation paritaire du conseil de prud’hommes a, entre autres, fixé la rémunération brute mensuelle à 2.146,75 euros, fixé à 13 années l’ancienneté du salarié et condamné l’ancien employeur au paiement de rappels de salaires, de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de bonne foi, de la prime d’ancienneté, du reliquat d’indemnité de licenciement et sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. 


Le 7 novembre 2018, l’ancien employeur a interjeté appel de cette décision.

 

Le salarié a relevé appel incident de la décision.

 

Selon arrêt du 26 mars 2021 (RG n° 18/03394), la cour d’appel de DOUAI précise « qu’une telle mention du salaire en net dans un contrat de travail est peu courante » et retient que « la mention du salaire en net dans le contrat de travail, constitue une erreur de plume, ce qui a été compris comme tel par les deux parties durant les 13 années de leur collaboration. L’erreur matérielle n’étant pas créatrice de droit, [le salarié] ne peut prétendre à des rappels de salaires ou complément d’indemnité de licenciement ni davantage solliciter des dommages et intérêts à l’encontre de son ancien employeur, aucun comportement fautif n’étant mis en évidence ».

 

Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt de la cour d’appel de le débouter de sa demande de rappels de salaire et, en conséquence, d’indemnité conventionnelle de licenciement, ainsi que de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

 

Le salarié soutient que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites, en application de l’article 1134 du Code civil dans sa version applicable aux faits de l’espèce.

 

Il ajoute que l’interprétation d’une clause contractuelle pour déterminer la commune intention des parties, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond, n’est autorisée que si la clause litigieuse est ambiguë.

 

En l’occurrence, les deux contrats de travail à durée déterminée et le troisième contrat à durée indéterminée, libellés de façon identique s’agissant de la rémunération, mentionnaient que le salarié percevrait une rémunération nette de 1.653 euros.

 

En effet, la clause stipulée dans les contrats de travail, claire et précise, était rédigée de la manière suivante :

« Rémunération : en rémunération de ses services, le salarié percevra chaque mois un salaire net forfaitaire de 1.653,00 euros ».

 

Pour autant, la cour d’appel de DOUAI a rejeté la demande de rappel de salaire formulée par le salarié, aux motifs qu’une telle mention du salaire net est peu courante dans un contrat de travail et que l’employeur n’a jamais versé au salarié, agent d’entretien, qui ne justifie pas des nombreuses réclamations alléguées, le salaire correspondant à la rémunération nette mentionnée dans le contrat de travail s’en tenant à la classification prévue par la convention collective de l’immobilier.

 

Les juges du fond ont interprété la clause des contrats de travail successifs relative à la rémunération comme une erreur de plume, non créatrice de droit, pour retenir que la somme mensuelle de 1.653 euros devait être considérée comme une somme brute mensuelle à verser au salarié.

 

Le salarié fait grief à la cour d’appel d’avoir interprété ainsi la clause litigieuse, alors que la clause contenue dans les trois contrats de travail relative à la rémunération mensuelle était claire et précise.

 

Dès lors, cette clause devait s’appliquer et ne pouvait donner lieu à interprétation.

 

Aussi, la cour d’appel a violé l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, ensemble l’article L. 1221-1 du Code du travail.

 

Pour rappel, l’article L. 1221-1 du Code du travail prévoit :

« Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun. Il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d’adopter. »

 

Quant à l’article 1134 du Code civil, dans sa version en vigueur du 17 février 1804 au 1er octobre 2016, il dispose :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

 

S’agissant plus spécifiquement de la rémunération, elle constitue un élément essentiel du contrat de travail pour le salarié.

 

Pour l’employeur, la rémunération constitue l’obligation principale issue du contrat de travail.

 

En conséquence, le montant et la structure de la rémunération contractuelle ne peuvent pas être modifiés sans l’accord du salarié.

 

Aussi, la jurisprudence considère que la modification unilatérale de la rémunération du salarié justifie nécessairement la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse puisque les faits invoqués par le salarié la justifiaient.

 

Le fait que ces modifications entraînent une rémunération ou un mode de rémunération plus avantageux n’a aucune incidence sur la nécessité d’un accord express du salarié (arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 janvier 1998, pourvoi n°95-40275, publié au Bulletin 1998, V, n° 40, p. 30, et arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 19 mai 1998, pourvoi n°96-41573, publié au Bulletin 1998, V, n°265, p. 202).

 

De la même manière, le fait que la modification de la rémunération contractuelle serait plus avantageuse pour le salarié n’a aucune incidence sur la nécessité d’un accord express du salarié (arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 6 octobre 2010, pourvoi n°05-43530, inédit).

 

De même, il importe peu que le nouveau mode de rémunération soit sans effet sur le montant global de la rémunération du salarié (arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 18 mai 2011, pourvoi n°09-69175, publié au Bulletin 2011, V, n°117).

 

Dans un arrêt du 5 mai 2010 (pourvoi n°07-45409, publié au Bulletin 2010, V, n°102), la chambre sociale de la Cour de cassation affirme que le mode de rémunération contractuel d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que le nouveau mode soit plus avantageux.

 

Or, la cour d’appel, alors qu’elle avait constaté que l’employeur avait, sans recueillir l’accord du salarié, modifié sa rémunération contractuelle, ce dont elle devait déduire que la prise d’acte de la rupture par le salarié était justifiée n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1134 du Code civil et L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du Code du travail, dans leur version applicable aux faits de l’espèce.

 

Par ailleurs, l’acceptation d’une modification de la rémunération contractuelle ne peut pas résulter de la seule poursuite du travail par le salarié (arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 16 novembre 2005, pourvoi n°03-47560, inédit).

 

En effet, la jurisprudence précise que l’acceptation des bulletins de salaire et la poursuite de l’exécution du contrat de travail sans aucune réserve ne valent pas renonciation du salarié à réclamer un rappel de salaire (arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 1er octobre 2003, pourvoi n°01-42867, inédit).

 

Cette jurisprudence est constante, puisque la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle régulièrement que la poursuite du travail par le salarié aux conditions nouvelles fixées par l’employeur ne vaut pas une acceptation de la modification du contrat de travail.

 

A titre d’exemple, la chambre sociale de la Cour de cassation censure un arrêt d’appel au visa de l’article 1134 du Code civil et affirme que l’acceptation par les salariés de la modification substantielle qu’ils avaient refusée, du contrat de travail ne pouvait résulter de la poursuite par eux du travail (arrêt du 8 octobre 1987, pourvois n°84-41902 et n°84-41903, publié au Bulletin 1987, V, n°541, p. 344).

 

La chambre sociale de la Cour de cassation rejette systématiquement l’acceptation tacite du salarié en matière de modification du contrat de travail.

 

Pour revenir à l’espèce, dans sa décision du 14 décembre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation vise l’article L. 1221-1 du Code du travail et l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

 

Il résulte de la combinaison de ces textes que la rémunération contractuelle d’un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié ni dans son montant, ni dans sa structure sans son accord.

 

Dès lors, la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel de DOUAI en application de l’article L. 1221-1 du Code du travail et de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

 

La chambre sociale de la Cour de cassation relève que les contrats de travail successifs du salarié mentionnaient que le salarié percevrait la rémunération nette de 1.653 euros.

 

Par conséquent, les juges du fond ne peuvent pas analyser la mention du salaire net comme une erreur matérielle sans constater auparavant l’acceptation claire et non-équivoque du salarié de la modification de la rémunération contractuellement prévue.

 

La chambre sociale de la Cour de cassation censure l’arrêt querellé du 26 mars 2021, qui retient que la mention du salaire en net dans le contrat de travail constitue une erreur de plume, ce qui a été compris comme tel par les deux parties durant les treize années de leur collaboration et que l’erreur matérielle n’étant pas créatrice de droit, le salarié ne peut prétendre à des rappels de salaires ou complément d’indemnité de licenciement ni davantage solliciter des dommages-intérêts à l’encontre de son ancien employeur, aucun comportement fautif n’étant mis en évidence.

 

En statuant ainsi, alors que les contrats de travail successifs du salarié stipulaient qu’en rémunération de ses services, il percevrait chaque mois un salaire net forfaitaire de 1.653 euros, la cour d’appel de DOUAI, qui n’a pas constaté que le salarié avait accepté de manière claire et non-équivoque une modification de la rémunération contractuellement prévue, a violé l’article L. 1221-1 du Code du travail et de l’article 1134 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

 

La chambre sociale de la Cour de cassation a alors cassé et annulé l’arrêt rendu le 26 mars 2021 par la cour d’appel de DOUAI, mais seulement en ce qu’il déboute le salarié de sa demande en rappel de salaires sur la base d’un salaire brut de 2.146,75 euros, de sa demande subséquente en paiement d’un reliquat d’indemnité de licenciement fondée sur ce salaire de référence et de sa demande en dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu’il dit n’y avoir lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens d’appel.