Dans un
arrêt du 8 février 2023 (pourvoi n°21-16258,
publié au Bulletin), la
chambre sociale de la Cour de cassation affirme qu’il résulte des dispositions
d’ordre public des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail que,
lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur ne
peut prononcer un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, peu
important qu’il ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour
une autre cause.
Un salarié a
été embauché à compter du 16 mai 1989 par une société de commerce de produits
pour prothésistes, en qualité d’agent technico-commercial suivant contrat de
travail écrit à durée indéterminée.
Il a ensuite
été promu aux fonctions de responsable de secteur, statut cadre, à compter du 1er
juillet 1991.
Le salarié a
été placé en arrêt de travail pour maladie à compter du 21 octobre 2016,
renouvelé par la suite de façon continue jusqu’au 8 mars 2017, pris en charge
par la caisse primaire d’assurance maladie au titre des affections de longue
durée.
Par courrier
du 24 janvier 2017, l’employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable
à un éventuel licenciement disciplinaire, fixé au 7 février 2017, et l’a mis à
pied à titre conservatoire dans cette attente.
A l’issue de
la visite de reprise du 6 février 2017, le médecin du travail a estimé le
salarié inapte à son poste en un seul examen, au visa de l’article R. 4624-31
du Code du travail, et précisé que « le maintien du salarié à son poste
ou dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ; en
conséquence son reclassement au sein de l’entreprise ou du groupe n’est pas
envisageable ».
Précisons d’ores
et déjà que depuis le 1er janvier 2017, une seule visite peut suffire
à déclarer l’inaptitude du salarié. Sous la législation antérieure, le médecin
du travail devait procéder à deux examens espacés de deux semaines avant de pouvoir
rendre un avis d’aptitude ou d’inaptitude.
L’article L.
1226-2-1, alinéa 4, du Code du travail prévoit que « s’il prononce le
licenciement, l’employeur respecte la procédure applicable au licenciement pour
motif personnel prévue au chapitre II [Licenciement pour motif personnel]
du titre III [Rupture du contrat de travail à durée indéterminée] du
présent livre [Livre II : Le contrat de travail] ».
En conséquence,
l’employeur ne peut recourir à la résiliation judiciaire pour rompre le contrat
de travail du salarié déclaré inapte et qui a refusé le poste de reclassement
proposé.
Seuls le
licenciement ou la démission peuvent rompre le contrat de travail du salarié
déclaré inapte.
Pour revenir
au présent litige, l’employeur a procédé au licenciement du salarié pour faute
lourde, par courrier du 16 février 2017.
Le 22 mars
2017, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’une contestation du
licenciement, ainsi que de demandes indemnitaires et salariales afférentes à la
rupture et à l’exécution « à son sens déloyale » du contrat de
travail par son employeur.
Suivant
jugement du 4 septembre 2018 (RG n°F 17/0587), la formation paritaire du
conseil de prud’hommes de BOURGOIN JALLIEU a condamné l’employeur à payer au
salarié, entre autres, une indemnité conventionnelle de licenciement, une indemnité
compensatrice de préavis, une indemnité au titre de la mise à pied et le
paiement des congés d’ancienneté.
La
juridiction prud’homale a débouté l’employeur de ses demandes au titre de l’exécution
déloyale du contrat de travail.
Le 12
septembre 2018, le salarié a relevé appel du jugement.
Le 9 octobre
2018, l’employeur en a interjeté appel à son tour.
Le 18 octobre
2018, la jonction des deux procédures a été ordonnée.
Le 11 mars
2021 (RG n°18/03888), la cour d’appel de GRENOBLE a notamment confirmé le
jugement déféré en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes indemnitaires
et salariales au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du
contrat de travail.
Selon la
cour d’appel de GRENOBLE, l’employeur peut invoquer dans la lettre de
licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du
salarié, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque
cause de licenciement, dès lors que ces motifs procèdent de faits distincts.
La juridiction
du second degré estime ainsi que la circonstance que l’inaptitude définitive du
salarié à occuper son emploi a été constatée par le médecin du travail le 6
février 2017, ne privait pas l’employeur de se prévaloir d’une faute lourde de
son salarié au soutien du licenciement qu’elle a estimé devoir prononcer à l’issue
de la procédure disciplinaire qu’elle avait initiée le 24 janvier 2017.
En conséquence,
le salarié a été débouter de ses demandes indemnitaires et salariales au titre
de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail.
Le salarié a
alors formé un pourvoi en cassation.
Il fait
ainsi grief à l’arrêt de le débouter de ses demandes indemnitaires et
salariales au titre de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat
de travail.
La chambre
sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt, mais seulement en ce
qu’il déboute le salarié de ses demandes indemnitaires et salariales au titre
de la mise à pied conservatoire et de la rupture du contrat de travail et en ce
qu’il condamne le salarié à payer à l’employeur 700 euros au titre de l’article
700 du Code de procédure civile et aux dépens, l’arrêt rendu le 11 mars 2021,
entre les parties, par la cour d’appel de Grenoble.
Dans sa
décision, la chambre sociale de la Cour de cassation vise les articles L.
1226-2 et L. 1226-2-1 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi
n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue
social et à la sécurisation des parcours professionnels.
Il convient
de préciser que les dispositions des articles L. 1226-2 et L. 1226-2-1 du Code
du travail régissent le licenciement du salarié inapte à la suite d’une maladie
ou d’un accident non professionnel et qui sont d’ordre public.
Selon les dispositions
de l’article L. 1226-2, alinéa 1er, du Code du travail, lorsque le
salarié victime d’une maladie ou d’un accident non professionnel est déclaré
inapte par le médecin du travail, en application de l’article L. 4624-4 du Code
du travail, à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui
propose un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou
des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le
territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation
assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
Selon les
dispositions de l’article L. 1226-2-1, alinéa 2, du Code du travail, l’employeur
ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son
impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L.
1226-2 du Code du travail, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé
dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du
travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement
préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout
reclassement dans un emploi.
Lorsqu’à la
suite d’un arrêt de travail, un salarié est déclaré inapte par le médecin du
travail à occuper tout poste dans l’entreprise au terme d’une seule visite
médicale de reprise, les règles d’ordre public relatives au licenciement du
salarié inapte non reclassé s’appliquent.
Par conséquent,
l’application de ces règles d’ordre public fait obstacle à ce que l’employeur
prononce un licenciement pour un motif autre que l’inaptitude, peu important
que l’employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour
une autre cause.
Cela
signifie qu’un licenciement pour faute ne peut pas être prononcé
postérieurement à l’avis d’inaptitude définitive délivré par le médecin du
travail.
Or, la cour
d’appel de GRENOBLE a violé les articles L. 1226-2, L. 1226-12 et R. 4624-22 du
Code du travail en déboutant le salarié de ses demandes au titre de la rupture
de son contrat aux motifs que son licenciement, intervenu le 16 février 2017,
était fondé sur une faute grave, alors même que le salarié avait été déclaré
inapte par le médecin du travail.
Dès lors, la
chambre sociale de la Cour de cassation retient que le salarié, déclaré inapte,
ne pouvait pas être licencié pour un motif autre que l’inaptitude.
Quelques années
auparavant, la chambre sociale de la Cour de cassation avait rendu, au visa des
articles L. 1226-2, L. 1226-10, L. 1226-12 et R. 4624-22 du Code du travail, en
leur rédaction applicable au litige, une décision à la solution similaire.
Dans son arrêt
du 20 décembre 2017 (pourvoi n°16-14983, publié au Bulletin 2017, V, n°223), la
chambre sociale de la Cour de cassation avait affirmé que dès lors que le
salarié a été déclaré inapte par le médecin du travail, la procédure liée à l’inaptitude
doit s’appliquer jusqu’à son terme.
Aussi, la
Cour de cassation avait déjà affirmé que dans ce cas-là, le salarié ne pouvait
être licencié que pour inaptitude et impossibilité de reclassement, et qu’en
conséquence, une procédure disciplinaire aboutissant à un licenciement pour
faute grave n’était pas applicable au salarié déclaré inapte.
Néanmoins,
la chambre sociale de la Cour de cassation a ensuite rendu des décisions
contraires.
La première
décision date du 15 septembre 2021 (pourvoi n°19-25613, publié au Bulletin).
La chambre
sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel qui
avait jugé que le licenciement du salarié en tant qu’il est fondé sur un motif
économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel
avait constaté que la cessation de l’activité de l’entreprise du fait du départ
à la retraite de son dirigeant et de l’absence de repreneur était réelle.
Aussi, ayant
eu connaissance de l’avis d’inaptitude le 24 mars 2017, l’employeur ne pouvait
plus licencier le salarié le 25 mars 2017 pour motif économique et devait
appliquer la législation d’ordre public relative au licenciement pour
inaptitude prévue aux articles L. 1226-10 et suivants du Code du travail.
La chambre
sociale de la Cour de cassation a alors fait grief à la cour d’appel d’avoir
statué ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que le motif
économique du licenciement, non remis en cause par le salarié, ressortissait à
la cessation définitive de l’activité de la société et qu’il n’était pas
prétendu que la société appartenait à un groupe, ce dont se déduisait l’impossibilité
de reclassement.
Auparavant, la
chambre sociale de la Cour de cassation avait précisé, dans un arrêt du 14 mars
2000 (pourvoi n°98-41556, publié au Bulletin 2000, V, n°103 p. 80), que le
licenciement pour motif économique était possible uniquement si l’employeur avait
mis en place la procédure liée à l’inaptitude, notamment en respectant
l’obligation de reclassement.
La seconde
décision date du 26 octobre 2022 (pourvoi n°20-17501, publié au Bulletin).
La chambre
sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel qui
avait prononcé la nullité du licenciement, puisqu’au moment de la notification
du licenciement le 6 décembre 2017, l’employeur était informé de la demande de
reconnaissance de maladie professionnelle par le salarié et de ce que le
médecin du travail était saisi par celui-ci en vue d’une reprise.
Dès lors, au
moment de la notification du licenciement pour motif économique, l’employeur
disposait d’éléments suffisants lui permettant de retenir que l’état de santé
du salarié pourrait faire l’objet d’une inaptitude en lien avec l’activité
professionnelle et que le véritable motif du licenciement était lié à l’état de
santé du salarié.
La chambre
sociale de la Cour de cassation a alors fait grief à la cour d’appel de ne pas
avoir rechercher si la cessation d’activité de l’entreprise invoquée à l’appui
du licenciement ne constituait pas la véritable cause du licenciement.